TOM ET LES ENFANTS, DANS UN PAYS MEURTRI
Aujourd’hui on va parler d’une théorie bien mystérieuse au
nom vaaachement stylé : la théorie de l’esprit.
Pour rajouter un petit côté mignon, j’aurais pu mettre
plein de petits chatons mais on va plutôt parler d’enfants
cro-mignons-trop-chous (promis, on parlera bientôt de petits chatons :p).
Enfin, pour reprendre notre sérieux, on verra qu’on a bien
besoin de théorie de l’esprit par les temps qui courent…
Pour faire simple, la théorie de l’esprit, c’est la faculté
qu’on a de se représenter ce que pense l’autre. C’est elle qui nous permet de
se mettre à la place de l’autre, de voir le monde à travers ses yeux, de
prédire et d’expliquer ses actions. C’est quelque chose d’extrêmement banal
pour nous, que nous utilisons chaque jour sans nous en rendre compte. C’est
grâce à la théorie de l’esprit que nous laissons notre place dans le bus à une
personne âgée, car nous sommes capables d’imaginer ce qu’elle ressent, et de
comprendre (alors même qu’elle ne le demande pas) qu’elle voudrait pouvoir
s’asseoir.
Un test tout bête permet d’expliciter ce phénomène :
imaginez que je suis assis en face de vous, et que je vous présente un dessin,
de tel sorte que vous le voyez à l’endroit. Dans quel sens est ce que je le
vois, moi ? A l’envers. C’est une question toute bête et pourtant pour y
répondre, vous devez être capable de sortir de votre représentation du monde
propre pour imaginer la mienne et vous y glisser : c’est la théorie de
l’esprit. Maintenant, si vous présentez ce dessin à un enfant de 3 ans, sa
réponse sera sans doute bien étonnante…
Les enfants sont-ils doués de théorie de l’esprit ?
Un certain nombre de tests, qui ressemblent à celui dont on
vient de parler, montrent clairement qu’avant 4 ans, les enfants sont
incapables de se représenter l’état d’esprit d’autrui, et ne maîtrisent donc
pas la théorie de l’esprit.
Un test classique est le test de Maxi : Maxi est un
petit garçon tout mignon qui mange du chocolat. Rassasié, il range sa tablette
entamée dans la boîte X, et quitte la pièce. Sa maman rentre alors, et
sans en avertir Maxi, déplace la tablette dans une autre boîte, Y. La
question est : lorsque Maxi revient, dans quelle boîte va-t-il chercher sa
tablette ?
Nous savons alors tous dire qu’il ira la chercher dans la boîte X, là où il l’avait initialement rangé : nous sommes capables
de voir la scène à travers les yeux de Maxi et de comprendre qu’il ne sait pas
que sa mère a déplacé la fameuse tablette.
Un enfant de 5 ans répondra comme vous. Mais un enfant de 3
ans répondra immanquablement la boîte Y, car il ne possède pas la faculté
de se projeter dans l’esprit d’un autre.
Mais le chercheur en neurosciences n’a d’égal à son génie
que son vice, et il a imaginé une expérience bien plus drôle. Dans ce nouveau
test, ledit chercheur présente une boîte de Smarties® à un enfant, qui pense
donc naturellement qu’elle est remplie de bonbons. Sauf qu’en réalité, c’est un
stylo qui s’y trouve (il faut croire que c’est drôle de décevoir des
enfants :p).
C’est très marrant jusque-là, mais on ne parle pas encore de
théorie de l’esprit.
On pose ensuite la question à l’enfant : et si je
présente cette boîte à ton amie, que va-t-elle croire qu’elle contient ?
Encore une fois, la réponse nous parait évidente, elle va
naturellement croire qu’elle est remplie de Smarties®, et sera tout aussi déçue
que le premier enfant (et c’est doublement drôle). Nous imaginons sans
difficulté qu’elle ne sait pas que cette boîte ne contient en réalité qu’un
stylo. Pourtant, un enfant de 3 ans répondra avec assurance : « Un
stylo ! ».
Cette incompétence en théorie de l’esprit rend incapable les
enfants de moins de 3 ans d’élaborer une stratégie de « tromperie
tactique ». On le montre très bien dans le test de la « window
task ». Ce test par du principe qu’un enfant aime les bonbons (parce que
sinon, vous verrez qu’elle n’a aucun intérêt :p) : face à l’enfant,
vous disposez de 2 box dont les parois sont opaques sauf celles qui font face à
l’enfant : ainsi, seul lui peut voir ce qui s’y trouve, et pas vous. Un bonbon est posé
dans la box de droite. La règle est simple : si vous trouvez le bonbon,
vous le mangez. Si vous ne le trouvez pas, c’est lui qui le mange. L’enfant a
donc tout intérêt à ce que vous ne le trouviez pas !
Vous posez alors la question : où se trouve le
bonbon ?
Tout l’intérêt de l’enfant est alors de répondre « à
gauche » pour que l’adulte se trompe et qu’il puisse manger son bonbon.
Pour cela, il faut être capable de comprendre l’état d’esprit de
l’adulte pour le manipuler.
Vous l’aurez deviné, un enfant de moins de 4 ans montrera
systématiquement la box de droite et n’aura jamais de bonbon (le vice est
partout).
La théorie de l’esprit et les facultés mentales qui
l’accompagnent se construisent donc progressivement pendant l’enfance. Mais il
existe des tests bien plus difficiles que les adultes sont incapables de
résoudre ! Nous avons parlé seulement des situations de premier ordre (je
pense qu’il pense), mais nous pouvons corser la chose avec du second ordre (je
pense qu’il pense que je/qu’il pense) etc, etc…
La théorie de l’esprit est nécessaire à toute interaction
sociale. Elle nous permet de comprendre l’autre et de relativiser nos propres
conceptions du monde. Elle nous enseigne un message d’humilité : nous ne
détenons pas de vérité absolue, et il existe autant de visons du monde
différentes qu’il existe d’êtres humains sur Terre.
En ces temps troublés, exerçons avec une attention toute
particulière la théorie de l’esprit. Faisons l’effort de voir le monde à
travers les yeux de l’autre, comprenons ses différences et relativisons nos
opinions.