LES BÉBÉS RESSENTENT-ILS LA DOULEUR ?


Que fait un bébé lorsqu'il à faim ou soif ? Ou lorsqu'il se fait mal ? Quelle est même la première chose qu'il fait en venant au monde ?

Il pleure.



Ses pleurs sont durant les premiers mois de vie le plus sûr moyen pour communiquer. Mais il faut avouer qu'il est souvent difficile de savoir les décrypter.



Cela est encore plus vrai chez les nouveau-nés. Ses pleurs correspondent-ils à de la faim, de la soif, ou de la douleur ? Exprime-t-il simplement quelque chose à travers eux ?

Un bébé peut-il ressentir la douleur ? Question stupide me direz-vous, tant la réponse vous parait évidente.

Mais cela n’a pas toujours été le cas.

Jusqu’au milieu des années 80 (1980 !), on croyait que les bébés étaient insensibles à la douleur. Parfois avec des arguments rationnels (infirmés ensuite par la science), parfois par pure ignorance –voire obscurantisme.

Jusqu’à cette période-là, le dogme était donc que les nourrissons, et en particulier les prématurés, étaient peu ou pas sensibles aux stimulations douloureuses. Il était admis qu’ils étaient incapables de localiser la douleur et que leur réaction à cela était purement stéréotypée. Dans ce cadre-là, aucune raison donc de les anesthésier durant les gestes douloureux –et ce jusqu’aux gestes opératoires ! D’autant plus que l’usage de certains anesthésiants, dérivés de produits opioïdes, peuvent être risqués chez les prématurés car ils peuvent aggraver des problèmes cardiaques et pulmonaires.

Tout au plus on les étourdissait à coup d’oxyde nitrique ou de myorelaxants.

Cela ne commença à changer qu’à partir du milieu des années 80 et la publication de plusieurs études sur le sujet, dont une en particulier dans la prestigieuse revue New England Journal of Medicine. Cette étude montrait pour la première fois que la densité de nocicepteurs cutanées (les récepteurs à la douleur présents dans notre peau) était égale voire plus importante chez les nourrissons par rapport aux adultes. Dès la naissance, les bébés possèdent à la fois les récepteurs à la douleur et les nerfs capables de relayer cette information jusqu’au cerveau !


Notre peau, constituée de 3 couches (l'épiderme, le derme et l'hypoderme) contient plusieurs types de récepteurs à l'origine de nos sensations tactiles. Les corpuscules de Meissner, de Pacini, de Ruffini et les disques de Merkel captent les différentes modalités de notre toucher "fin" (les vibrations, les pressions...), alors que les terminaisons nerveuses libres, ou nocicepteurs, captent les stimulations douloureuses.


Mais cela n’apportait pas la preuve que les bébés pouvaient ressentir la douleur.

Les bébés possèdent les récepteurs et les voies nerveuses qui transportent les informations douloureuses jusqu’au cerveau. Mais il existait encore un doute quant à la maturation de ces voies nerveuses.

Notre système nerveux est d’une extrême complexité. Tellement complexe que les 9 mois de gestation dans le ventre de la mère ne suffisent pas à sa complète maturation. A la naissance, le cerveau du bébé est encore très immature, et ne cessera d’évoluer à seulement 20 ans -et encore.

C’est d’ailleurs pour cela que les expériences que nous pouvons avoir à l’adolescence (tel que fumer du cannabis) sont à risque : ils agissent sur un cerveau en formation, et peuvent donc avoir une portée beaucoup plus importante qu’à l’âge adulte.

Le cerveau du nouveau-né est donc encore largement immature. Durant les premières années de vie, on observe dans le cerveau une formation massive de synapses (les connexions entre neurones) qui aboutit à une nombre de connexions bien plus important chez les enfants que chez les adultes. Ce surplus de synapses créé des circuits neuronaux aberrants ou redondants.

Dans un second temps (à l’adolescence), les connexions surnuméraires non utilisées seront éliminés sur un modèle dit « Darwinnien », selon la bonne vieille loi de la sélection naturelle : seules les synapses utiles sont conservées, et celles qui ne sont pas intégrées dans des réseaux neuronaux actifs sont éliminées.

Seules les girafes avec un grand cou ont pu survivre car cela leur permettait de pouvoir se nourrir. Celles avec un cou plus petit n’avaient pas cet avantage sélectif et ont été éliminées au cours de l’évolution.

Les girafes sont nos synapses, et la longueur du cou leur utilité au sein des réseaux neuronaux.



Ainsi se module nos circuits neuronaux. Leur forme et leur connectivité.

Ces processus de maturation agissent non seulement sur les synapses de nos neurones, comme nous venons de le voir, mais aussi sur leur axone.

Les neurones sont constitués 3 domaines majeurs : les dendrites (prolongements cellulaires qui supportent les synapses dont nous venons de parler), le corps cellulaire (en étoile) et l’axone (ce long prolongement qui permet au neurone d’envoyer des informations sous la forme d’influx nerveux). La plupart de ces axones, à partir de l’adolescence, sont myélinisés : ils sont entourés d’une épaisse couche de graisse (la myéline) qui permet d’accélérer et de faciliter le passage des influx nerveux.


Les dendrites des neurones sont les structures qui reçoivent les informations
provenant d'autres neurones. Ces informations sont ensuite compilées au niveau
du corps cellulaires pour former une information "moyenne" qui sera communiquée
à d'autres neurones via l'axone.

Les nouveau-nés possèdent certes des nocicepteurs et des voies nerveuses (des axones) qui les relient jusqu’au cerveau. Mais ces voies nerveuses sont-elles matures ?

Sont-elles myélinisées ?


Contrairement à la formation des neurones et des synapses, qui commence alors que le bébé est encore dans le ventre de sa mère, la formation de la gaine de myéline autour des axones (la myélinisation) a majoritairement lieu après la naissance. Elle se poursuit ensuite jusqu’à l’adolescence –et a même toujours lieu chez l’adulte.

Par exemple, les axones des neurones visuels ne sont pas myélinisés à la naissance. Leur myélinisation a lieu durant les tous premiers mois de vie. On peut en mesurer les conséquences (une accélération des influx nerveux) grâce à l’électroencéphalogramme. Ainsi, la latence d’activation du cortex visuel après que le bébé ait vu quelque chose est bien plus courte à 6 mois qu’à la naissance.

Tout comme les voies visuelles, de nombreux autres axones ne sont pas myélinisés à la naissance. Il n’est donc pas aberrant de penser qu’il en était de même pour les voies sensitives de la douleur.

Ainsi, on supposait à l’époque que les nouveau-nés, bien qu’ils possèdent les récepteurs à la douleur et les voies nerveuses adéquates, n’étaient pas capables de la ressentir mal car ces dernières n’étaient pas myélinisées.

Cet argument est dès l’origine bancal car même chez l’adulte, les fibres sensitives qui véhiculent les informations douloureuses sont peu myélinisées : la couche de myéline qui entoure leurs axones est très fine.

Il sera définitivement rejeté lorsque différentes études montrèrent que contrairement aux faisceaux visuels dont nous venons de parler, les fibres sensitives nociceptives sont myélinisées (de manière comparable à l’adulte) dès la naissance : en réalité, leur myélinisation commence dès le 2ème trimestre de grossesse !


Nous savons aujourd'hui très bien que les processus de synaptogenèse et
de myélinisation non seulement commencent durant la vie foetale, mais
se déroulent jusqu'à l'adolescence voir au delà.

Dès la naissance, les bébés ont donc les récepteurs adéquats et les voies nerveuses fonctionnelles pour ressentir la douleur.

Mais même avec ces preuves, les choses ont mis très longtemps à changer.

Il fallut encore quelques années, et la mise en évidence d’un neurotransmetteur lié à la douleur (la Substance P) dans le cerveau du fœtus et du nouveau-né, pour que l’on commence à prendre en compte la douleur dans le milieu néonatal.

Pour abandonner ces traitements qui nous semblent aujourd’hui une véritable barbarie.

Malgré les preuves qui s’accumulaient, une large communauté médicale a refusé de les voir et de traiter la douleur pédiatrique comme il se doit : un sujet central. En médecine, la preuve scientifique (reproduite, répliquée, contrôlée) doit être la règle. Il faut pouvoir être capable de remettre ses certitudes en question, de mettre en doute le dogme ambiant, et accepter les nouvelles conceptions.

Parce que le bien être du patient, sa guérison ou sa survie peut en dépendre.

La médecine fondée sur la science reste (et restera) la meilleure arme pour la guérison du patient.



Cela ne veut pas dire que le médecin doit s’emballer à chaque nouvelle étude de Science ou de Brain. Une étude scientifique n’a aucun poids ou presque si elle n’a pas été répliquée de manière indépendante, par d’autres chercheurs.

Mais les médecins doivent prendre en compte ces avancées dans leurs connaissances médicales et la prise en charge de leur patient.

Cela ne veut pas dire que la médecine doit prendre en compte chaque progrès médical ou scientifique : la médecine est un domaine multidisciplinaire, elle ne dépend pas uniquement des avancées de la science. Elle dépend tout autant des moyens économiques qui lui sont accordés ou des mœurs du temps et du lieu où elle est appliquée (l’éthique).

Mais nous devons pouvoir allouer les moyens nécessaires pour que le plus grand nombre puisse avoir accès, dans la mesure du possible, aux meilleurs soins.

Enfin, cela ne veut pas dire que la médecine doit s’orienter uniquement vers la science –ce qu’elle a de plus en plus tendance à le faire. Elle doit rester axée sur et vers le patient, son accompagnement, ses proches. Prenons garde à ce que la médecine de demain ne soit pas encore plus techno-centrée qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Mais nous ne devons pas non plus verser dans l’immobilisme, dans ce regard méfiant envers le progrès.



N'hésitez pas à partager l'article s'il vous a plus et à liker la page Facebook pour être au courant des nouvelles scientifiques du moment !



Bon week end à tous ! :)



SOURCES :
- How do babies feel pain, elifescience.org, 2015
http://www.chups.jussieu.fr/polysPSM/psychomot/devPSMenf/POLY.Chp.3.html
- The long life of early pain, On the brain, 2011
- La douleur de l’enfant, cours du Dr Virginie Gandemer (CHU Rennes)

- Physiologie de la douleur chez le nouveau né et le nourrisson, Dr Hélène Batoz (CHU Bordeaux)