L’HYSTÉRIE, DE CHARCOT A FREUD


Elle s’appelait Marie Wittman.

Elle vécut 53 ans, dont 27 hospitalisée à l’hôpital de la Salpêtrière, à Paris. 

Elle souffrait d’une maladie mystérieuse au 18ème siècle, et qui le reste encore aujourd’hui : l’hystérie.

Elle est au centre de ce tableau.

"Une leçon clinique à la Salpêtrière", par Boussais, 1887.
En 1870, Jean-Martin Charcot est déjà une icône de la neurologie et de la psychiatrie. Ses descriptions de la sclérose en plaques et de la sclérose latérale amyotrophique l’on rendu célèbre dans le monde entier.

C’est totalement par hasard qu’il vient à s’intéresser à cette mystérieuse maladie qu’est l’hystérie. Une restructuration du service des aliénés, les patient(e)s hystériques transféré(e)s dans son service… Et une fascination devant ces crises spectaculaires et ces symptômes fantasques.

En accord avec l’esprit de l’époque, qui apporte une rigueur nouvelle à la science et en particulier à la recherche médicale, Charcot tente d’expliquer l’hystérie sur la base de ses examens cliniques, en ne faisant confiance qu’à sa raison.

Toute dimension religieuse ou morale est absente de son raisonnement, à l’inverse des siècles qui viennent de s’écouler (voir l’article du 7 mai).

Il observe très minutieusement les crises de quelques patientes hystériques. Il s’en servira pour décrire l’hysteria major, la grande crise, qu’il décompose en 4 étapes. Il écrit :


« D’abord, après quelques prodromes [signes annonciateurs], survient la première période dite épileptoïde, caractérisé par une perte de connaissance subite avec raideur, extension du tronc et des membres, convulsion des globes oculaires, oscillation des membres raidis, puis vient la deuxième période de contorsions [..] ou période de clownisme, avec des attitudes illogiques, imprévisibles, position en arc de cercle, souvent accompagnées de cris terribles. La troisième période est celle des attitudes passionnelles, ou des ‘poses plastiques’ […] suivant les hallucinations de la patiente. Enfin la grande crise s’achève par la période dite terminale, avec des délires de parole, d’hallucinations ou d’actions imprévisibles. »




Charcot va employer l’hypnose, décrite quelques décennies plus tôt sous le terme « magnétisme animal » par le controversé Anton Mesmer, pour soigner ces patient(e)s. Il s’en servira pour déclencher des crises hystériques "à volonté" chez eux/elles.

De manière régulière, le neurologue donne des cours, appelés « Leçons du mardi », qui sont tout à la fois des événements scientifiques et mondains. Les grands scientifiques, mais aussi les grands bourgeois, se pressent pour entendre le maître.

Durant ces leçons, Charcot déclenche, grâce à l’hypnose, des crises hystériques chez certaines de ses patientes. La plus célèbre sera ‘Blanche’ Wittman. Devant toute l’assemblée, elle se contorsionne, crie, souffle, gémit dans des positions lascives, sous le regard des grands de ce monde.

Triste vision de femmes données en spectacle.

Selon Charcot, l’hypnose est possible seulement chez les personnes hystériques. Il fonde sur ces idées l’école de la Salpêtrière, qui aura comme principal adversaire l’école de Nancy, qui affirme au contraire que n’importe qui peut être hypnotisé, chacun selon une sensibilité différente. L’histoire donnera raison à cette dernière et discréditera les travaux de Charcot sur l’hypnose.

Charcot décrira une autre forme d’hystérie, bien différente de l’hysteria major : l’hystérie traumatique. Celle-ci a des manifestations de toute autre nature (paralysie inexpliquées, perte d’un sens sans raison biologique…), mais tout aussi mystérieuses, et semblent apparaître à la suite de violents traumatismes psychiques, en particulier lors des accidents de trains qui deviennent de plus en plus courant avec le développement des chemins de fer.

Illustration d'une patiente hystérique qui ne ressent
plus aucune douleur au niveau de son bras droit.
Selon lui, l’hystérie naît d’un dysfonctionnement cérébral. De la même manière que l’épilepsie provient du mauvais fonctionnement du système nerveux, l’hystérie traumatique prend sa source dans le mauvais fonctionnement des systèmes moteurs : le malade devient incapable de visualiser une image mentale du mouvement, et empêche donc sa réalisation.

C’est cette description de l’hystérie traumatique qui amorce le changement de perception de la pathologie hystérique, de l’hysteria major à ce que l’on appelle aujourd’hui le syndrome de conversion. De nos jours, nous n’entendons plus parler de la grande crise hystérique (en tout cas dans la société occidentale), et aucune recherche d’envergure ne s’y intéresse. 

Charcot ne réussira pas à trouver l'origine exact du dysfonctionnement cérébral chez les patientes hystériques.

Après sa mort, ses travaux sur l’hystérie et l’hypnose seront fortement contestés. Les neurologues et psychiatres en première ligne seront ses propres étudiants, qui remettent en questions les enseignements de leur professeur.

En particulier, Pierre Janet pense que la clé pour comprendre l’hystérie n’est pas tant de classer les multiples symptômes de la crise, comme Charcot l’avait fait, mais de rechercher l’origine secrète de ceux-ci. Cette origine est selon lui à trouver dans l’histoire des patients : il s’agit d’une idée pathogène ou d’un souvenir traumatique. Il tente alors de soigner ses patients en les remplaçant, grâce à l’hypnose, par des souvenirs neutres.


Pierre Janet (1859-1947)

En 1885, dans le public d’une des "leçons du mardi" se trouve un jeune médecin viennois, installé pour quelques mois à Paris afin d'observer les recherches de Charcot au sein de l’hôpital de la Salpêtrière.

Sigmund Freud.

Sigmund Freud (1856-1939)

Il écrit à propos de Charcot, l’année suivante : 


« Charcot, un des plus grands médecins et dont la raison confine au génie, est en train de démolir mes conceptions et mes desseins. La graine produira-t-elle son fruit, je l'ignore ; mais que personne n'a jamais eu autant d'influence sur moi, de cela je suis sûr. »


Freud sera bouleversé par l’enseignement de Charcot. La majorité de ses travaux, après son passage à Paris, concernera l’hystérie. Contrairement au français, qui croyait en une origine organique de l’hystérie (une anomalie cérébrale), le viennois croit lui qu’elle est purement psychologique.

Charcot, par ses idées et sa description de l’hystérie traumatique, ainsi que la remise en question de ses travaux par Janet, fut à l’origine d’un mouvement qui aboutit quelques décennies plus tard à la psychanalyse.

La psychanalyse est née de l’hystérie.

Les deux années précédant son enseignement parisien, Freud avait pu entendre le témoignage d’un ami et médecin, Joseph Breuer, à propos d’une de ses patientes atteinte d’hystérie, connue comme « le cas Anna O. ».

Bertha Pappenheim.

Breuer tentait de trouver grâce à l’hypnose la source du mal, qu’il identifie finalement dans l’enfance de la jeune femme comme étant le décès de son père. Il constate au fur et à mesure de la thérapie, lorsque chaque symptôme est expliqué, que ceux-ci disparaissent mystérieusement. Il vient de décrire la méthode cathartique.

Breuer défend une approche thérapeutique basée sur l’hypnose, contrairement à Freud qui l’abandonne sans doute rapidement pour la méthode dite « d’association libre » des idées. Selon cette approche, l’analyste contraint le patient à associer spontanément des mots, ou des idées, qui selon les théories psychanalytiques permettent à l’analyste de remonter jusqu’à l’origine du traumatisme psychique.

Leurs divergences ne s’arrêtent pas là. Freud est en effet persuadé que la source de l’hystérie ne peut être qu’un traumatisme sexuel, alors que Breuer pense que le caractère sexuel n’est pas nécessaire.

Quelques années après son voyage en France, Freud rencontre une jeune femme de 27 ans, Emma Eckstein, qui souffre de douleurs intestinales inexpliquées, manifestement liées à ses règles. Freud diagnostiqua, grâce à sa méthode d’associations libres, un traumatisme psychique lié à des abus sexuels qu’elle aurait subi durant son enfance (le sexe n’est jamais loin…). L’hystérie est la conséquence du refoulement volontaire de ce souvenir inacceptable.

Le refoulement entraîne la conversion hystérique.

L’hystérie, selon Freud, aurait donc pour origine un conflit entre l’inconscient et le conscient à la suite d’un traumatisme sexuel –à prendre au sens freudien du terme, c’est-à-dire un traumatisme intéressant les investissements et désinvestissements du psychisme.

Le destin d’Emma Eckstein fut particulièrement éprouvant. Freud l’adressa à son ami le plus proche, Wilhelm Fliess, un médecin aux théories fantasques qui relient le nez à l’hystérie, la « théorie nasale réflexe ». L’opération du nez sensée guérir la jeune femme vira au drame, et elle fut défigurée pour le restant de sa vie.

La vision du « cas Emma » est parfaitement représentatif du point de vue de Freud à l’époque, en accord avec sa théorie de la séduction : l’hystérie serait la conséquence du refoulement d’un traumatisme sexuel durant l’enfance.

Les théories de Freud évoluèrent tout au long de sa vie, et notamment celles portant sur l’hystérie. Il abandonna rapidement sa théorie de la séduction pour mettre progressivement sur le même plan le traumatisme sexuel de l’enfance et le fantasme de celui-ci par le malade.

Les théories psychanalytiques de l’hystérie évolueront encore durant la vie de Freud et après sa mort, en 1939.

De manière générale (au-delà de l’hystérie), les travaux de Freud n’a pas été de conceptualiser l’importance des conflits psychiques dans les symptômes. Ces notions existaient déjà près de 2 siècles avant lui. Il y apporta une méthode d’observation, une grille de lecture à appliquer à ses patients. Encore plus, il fondera sur ces concepts ses traitements psychiques.

Le but de cet article n’est pas un jugement de valeur des théories de Freud. Chacun est libre de s’en faire sa propre opinion. Remarquons toutefois que les travaux de Freud correspondent plus à une interprétation des symptômes par un homme, à travers ses idées, ses connaissances et les croyances de son époque, qu’aux résultats d’une démarche expérimentale et scientifique -même si Freud a une formation médico-scientifique, son approche est très différente de celle de Charcot par exemple.

Faisons attention à ne pas réduire les théories psychanalytiques aux seules idées de Freud.

Je considère personnellement la psychanalyse comme une discipline philosophique. A ce titre, elle peut permettre à des personnes saines (c'est à dire sans pathologie psychiatrique) d'aller mieux. Tout comme les travaux de Spinoza, Nietzsche ou le bouddhisme. On peut aller mieux grâce à la pensée psychanalytique.

En revanche, il m'apparaît très périlleux de vouloir traiter une pathologie psychiatrique à coup de "Ainsi parlait Zarathoustra" ou de "L'éthique". Il en va de même des œuvres de Freud ou de Lacan, pour citer 2 psychanalystes célèbres.

On peut aller mieux grâce à la pensée psychanalytique. Je ne pense pas qu'on puisse guérir grâce à elle. 

En tant que discipline philosophique, la psychanalyse se base donc sur une interprétation, personnelle, subjective. La science, elle, se fonde sur une méthode scientifique qui garantit son objectivité (son indépendance par rapport à toute interprétation humaine) pour comprendre les mécanismes d’un phénomène naturel.

C’est ce qui fait sa force.

Ainsi, lorsque les données de la science vont à l’encontre des théories psychanalytiques (non, je ne pense pas à l’autisme…), ces dernières doivent être abandonnées. Il est un point de vue entendu dans le milieu psychanalytique qui le sépare nettement de la science. J’adhère entièrement à ce point de vue : la science a une primauté sur la psychanalyse, car une démonstration objective doit prévaloir sur une interprétation philosophique, par nature subjective.

Cela engendre une nouvelle obligation pour les psychanalystes : celui de se tenir constamment au courant des avancées de la science, et d'y confronter leur théories.

La psychanalyse comme modèle d’interaction entre soignant et malade, pourquoi pas. C’est à mon sens dans cette perspective qu’elle garde une certaine pertinence aujourd’hui : elle prend en compte à la fois la sensibilité du patient, mais aussi du soignant. Elle met l’interaction humaine au centre de la thérapie.

Je suis en revanche beaucoup plus dubitatif quant au bénéfice d’une thérapie uniquement fondée sur la psychanalyse, qui ne prend pas en compte la réalité biologique décrite par les neurosciences.








SOURCES :
- http://www.lefigaro.fr/cinema/2012/11/06/03002-20121106ARTFIG00303--augustine-les-fameuses-lecons-du-mardi-du-dr-charcot.php
-  http://www.baillement.com/lettres/charcot-brouillet.html
- Inserm (dir.). Psychothérapie : Trois approches évaluées. Rapport. Paris : Les éditions Inserm, 2004, XII- 553 p. - (Expertise collective). - http://hdl.handle.net/10608/146 - See more at: http://www.ipubli.inserm.fr/handle/10608/146#sthash.Zj7KgZHp.dpuf
- Trois itinéraires à travers l'histoire de l'hystérie, Dr E. TRILLAT
- Les sortilèges du cerveau, Pr Patrick Berche