COMMENT RETROUVER SA VOITURE SUR LE PARKING DU SUPERMARCHÉ ?



Mis à part si vous vivez sur une autre planète ou si vous vivez en ermite au sommet d’une montagne népalaise, vous n’avez pas pu échapper  au phénomène incroyable qu’a été le jeu Pokémon Go cet été.

Etant donné que je suis contre toute discrimination, envers les moines népalais et encore plus envers nos amis extraterrestres, un petit rappel : Pokémon Go est un jeu en réalité virtuelle,  qui vous permet d’attraper grâce à votre smartphone des pokémons errant dans le monde réel.

Laissez tomber votre console de salon, le nouveau monde virtuel est le monde réel ! A moins que ce ne soit l’inverse.

Ce jeu d’un genre nouveau a très vite fait polémique car il s’agissait au début d’un véritable aspirateur de données personnelles, qui informait Niantic, la start-up productrice du jeu, de votre localisation, et qui pouvait même prendre le contrôle de votre compte Google. Malgré cela, Pokémon Go fut en quelques semaines à peine le jeu le plus populaire de l’histoire des applications aux Etats-Unis.

Le problème concernant la captation des données personnelles fut rapidement corrigé par Niantic, pour revenir vers un système plus consensuel. Naturellement, la start-up à toujours accès à votre caméra et vous êtes constamment géolocalisés dès que vous utilisez l’application.

Cela pose bien évidemment des questions éthiques à propos de la protection de nos données personnelles. Il est naturellement plutôt perturbant d’imaginer qu’une personne totalement inconnue soit capable de nous suivre à la trace depuis l’autre bout du monde si elle le souhaite… Ou revendre ces données à prix d’or à des industriels.

Si je suis bien incapable de vous décrire le fonctionnement de cette géolocalisation à échelle planétaire, nous allons nous intéresser aujourd’hui à la géolocalisation… cérébrale (et en même temps, sur un blog s’appelant « 100 milliards de neurones », est-ce une grande surprise…).

D’où vient notre sens de l’orientation ? Par quel miracle sommes-nous capables de retrouver notre voiture lorsque nous nous garons sur le parking d’un supermarché ?


Les cellules de lieu


L’hippocampe est une structure cérébrale située dans les profondeurs du lobe temporal. Il est absolument indispensable à notre mémoire, et l’on dit souvent de lui que c’est « le péage de l’autoroute des souvenirs ». Tous nos souvenirs sont un jour passés par l’hippocampe, avant d’être stockés au niveau du cortex cérébral.




Au sein de nos hippocampes, il existe une population de neurones très particuliers, appelés cellules de lieu. Comme leur nom l’indique, ces neurones codent pour un lieu spécifique. Chaque neurone code pour un lieu qui lui est propre. Par exemple, alors que j’écris mon article assis devant mon bureau, mon neurone de lieu correspondant s’active, contrairement au neurone de lieu qui correspond à la fenêtre, à l’opposé de la pièce. Si je me lève et vais à la fenêtre, le deuxième neurone de lieu s’activera alors que le premier s’éteindra.

Ces neurones passionnants ont pu être étudiés chez la souris grâce à des électrodes implantées directement dans leurs hippocampes. Regardez cette vidéo : chaque point correspond à l’enregistrement d’une décharge d’un neurone de lieu. Les couleurs quant à elles différencient les différents neurones. Ce que l’on peut voir est fascinant : chaque neurone de lieu est associé à une région bien précise de la cage. Ainsi, le coin inférieur droit correspond au neurone 1, en bleu foncé, et le bord supérieur aux neurones 6 et 7, en jaune.




Ces neurones de lieu codent une information essentielle : où suis-je actuellement ?

Si l’on enregistre chez ces souris des dizaines et des dizaines de neurones de lieu à l’aide d’électrodes, il est possible de reconstruire une « carte cérébrale » de sa cage. L’hippocampe imprime progressivement la carte de l’environnement de la souris. Et si elle repasse à nouveau au niveau du coin inférieur droit de la cage, le neurone 1 s’activera une nouvelle fois.

Ces cellules de lieu ont des caractéristiques étonnantes. Imaginez que nous tournions la cage de la souris de 90 degrés : que se passerait-il pour les cellules de lieu ? Le nouveau coin inférieur droit correspondrait-il toujours au neurone 1 ?

Autrement dit, les cellules de lieu sont-elles définies par rapport l’environnement ambiant, ou alors par rapport à la souris seulement ?

Tout dépend de la familiarité de la souris avec sa cage. Si la cage est peu familière à la souris, si elle ne la connait pas bien, le fait de la faire pivoter entraînera une « rotation de la carte cérébrale » de la souris. Ainsi, le neurone 1 correspondra toujours au coin inférieur droit original.

L’emplacement codé par une cellule de lieu provient donc des informations visuelles que la souris capte de son environnement !

Mais cela n’est pas totalement vrai : si l’on modifie seulement certains repères d’une cage que la souris connait bien, sa carte cérébrale restera inchangée. Les cartes cérébrales et les cellules de lieu ne sont donc pas uniquement façonnées par les perceptions sensorielles de l’environnement, mais aussi par les souvenirs du lieu en question.



Bien. Garrez-vous. Sortez de votre voiture, levez les yeux, voyez la forme de l’enseigne au-dessus du magasin, la route qui passe à côté sur votre droite, les 2 voitures couleur jaune-vert dégueulasse garées à côté de la vôtre : ce sont autant d’informations sur l’emplacement de votre voiture qui façonnent vos cellules de lieu et votre carte cérébrale du parking. Votre voiture est désormais « géolocalisée » dans votre hippocampe !

Mais cela est-il suffisant pour retrouver votre voiture, une fois les courses terminées ?

La réponse est non, et la raison est simple : il ne s’agit là que de l’enregistrement d’un lieu –ou d’une succession de lieux. Pour pouvoir naviguer dans l’espace et retrouver la voiture, le cerveau a besoin d’un lien entre ces lieux, d’un trajet. De la même manière que le seul point d’arrivée sur la carte ne vous aidera pas beaucoup à y aller en voiture. Il vous faut un GPS pour déterminer le trajet. En bref, votre cerveau a besoin d’un algorithme !

Cet algorithme, ce sont d’autres neurones, différents des cellules de lieu, qui vont le fournir : les cellules de grille (notez au passage que la traduction française de grid cells est particulièrement ignoble).

Lorsque l’on implante à une souris une électrode non pas dans l’hippocampe, mais dans une région toute proche, le cortex entorhinal, on observe une activité neuronale étrange en fonction des mouvements de la souris.

Le cortex entorhinal borde l'hippocampe. C'est lui qui contient les cellules de grille, dont on peut voir le motif de décharge sur le plan bleu. Au contraire, les cellules de lieu font partie de l'hippocampe. Elles ne déchargent qu'à un endroit précis, comme l'indique le plan orange.


Comme pour les cellules de lieu hippocampales, ces neurones présents dans le cortex entorhinal s’activent en fonction de la position de la souris dans sa cage. Mais contrairement aux cellules de lieu, elles ne s’activent pas à un lieu unique. Lorsque l’on laisse la souris implantée se balader librement dans sa cage, on se rend compte qu’une cellule de grille s’active à plusieurs endroits, formant sur l’enregistrement des points régulièrement espacés formant une grille de motif triangulaire.

Lorsqu'on enregistre UNE cellule de grille pendant que la souris se déplace dans une cage, on observe ce genre de motif. Une même cellule de grille s'active à plusieurs endroits de la cage, formant entre chaque lieu un motif en forme de triangle. 


Regardez cette seconde vidéo. Vous pouvez y apercevoir le tracé correspondant au parcours de la souris dans sa cage. Une électrode est implantée dans son cortex entorhinal et enregistre une cellule de grille : le rouge correspond à une activation importante de la cellule, alors que le bleu signifie que la cellule est désactivée. On peut commencer à voir se former plusieurs spots qui formeront une grille. Si l’on relie ces spots entre eux, on obtiendra des triangles équilatéraux.




Si l’on enregistre au moyen d’une deuxième électrode l’activité de la cellule de grille adjacente, on remarquera la formation sur l’enregistrement d’une grille similaire, mais légèrement décalée.

De la même manière que les antennes relai permettent de « triangulariser » un appel téléphonique et de localiser un téléphone portable, les cellules de grilles, en intégrant la vitesse et la direction des mouvements de la souris, permettent qu’elle se localise sur ses cartes cérébrales !

Ainsi donc, si les cellules de lieu de l’hippocampe correspondent aux cartes que vous téléchargez dans votre GPS, les cellules de grilles correspondent elles aux algorithmes du GPS qui permettent de calculer un itinéraire !

Ces sont ces cellules de grille qui vous permettront, une fois vos courses finies, de faire le chemin de la sortie du magasin jusqu’à votre cellule de lieu –pardon, jusqu’à votre voiture !

C’est donc la combinaison entre 2 types de cellules qui vous permettent de retrouver votre voiture une fois vos courses finies. Les premières correspondent à une carte cérébrale de votre environnement, et les autres déterminent le chemin pour aller d’un point A à un point B.

La découverte des cellules de lieu et des cellules de grille, respectivement par John O’Keefe et par les époux Moser leur vaudront le prix Nobel de médecine en 2014.






SOURCES :
- Moser, E. I., Kropff, E., & Moser, M. B. (2008). Place cells, grid cells, and the brain's spatial representation system. Neuroscience, 31(1), 69.