QUAND LE CERVEAU OUBLIE DE RESPIRER : LE SYNDROME D'ONDINE


La vie réserve parfois des rencontres inattendues et nous fait prendre des chemins improbables. Ainsi lorsque Hans, fraîchement fiancé à Bertalda, rend visite à un couple de pêcheurs, il ne peut s’empêcher de tomber éperdument amoureux de leur fille, Ondine.

Le coup de foudre est réciproque, tant est si bien que Hans délaisse sa promise pour se marier à la belle Ondine à la beauté féérique. C’est à ce moment-là qu’elle lui dévoile sa véritable nature : elle n’est pas la fille des 2 pêcheurs, qui l’ont seulement accueilli lorsqu’elle était enfant, mais une nymphe. Un esprit des eaux, des lacs et des rivières qui doit s’unir à un homme pour acquérir une âme…

Très vite, la lassitude s’empare de Hans qui, troublé par les charmes de Bertalda, trompe la pauvre Ondine. Mais il ignore la terrible malédiction qu’à mis en place le véritable père de la mariée, le Prince des eaux : dès lors que son mari lui causera du mal, Ondine devra revenir au royaume des eaux et Hans, lui, devra mourir.

Les eaux du lac reprennent donc la belle Ondine, laissant Hans en proie à une profonde détresse.

« Si seulement cela m’intéressait de vivre ! Depuis que tu es partie, tout ce que mon corps faisait de lui-même, il faut que je le lui ordonne. Un moment d’inattention, et j’oublierai d’entendre, de respirer… Il est mort parce que respirer l’embêtait, dira-t-on… il est mort d’amour. »
Jean Giraudoux
Ondine

Ondine revint du royaume des eaux et, d’un baiser mortel, tua son mari volage.
La légende d’Ondine puise sa source dans la mythologie germanique et alsacienne. Elle inspira de nombreux artistes, tels que les auteurs La Motte-Fouqué ou Jean Giraudoux (dont est tirée l’histoire que je viens de vous conter) ou les compositeurs Dvorak, Debussy ou Ravel. Elle inspira aussi le médecin ésotérique Paracelse, au cours du Moyen-Âge, pour sa description des créatures sans âme.
Plus proche de nous, cette fable a donné son nom à une terrible maladie, le syndrome d’hypoventilation alvéolaire centrale congénital, qui touche les bébés dès les premiers instants où ils naissent.
Il s’agit d’une maladie aussi terrifiante que mystérieuse : les enfants qui en sont atteints sont incapables de respirer lorsqu’ils dorment, condamnés à échapper au sommeil qui ne peut leur être qu’éternel…
Dès la naissance, le bébé fait des malaises et des apnées. Son sang ne peut s’oxygéner suffisamment, si bien que le plus souvent il doit être intubé et transféré en service de soins intensifs. La machine prend alors temporairement le relai du corps défaillant : la ventilation artificielle à laquelle est soumis le bébé lui gonfle les poumons sans qu’il ait le moindre effort à fournir. Cette machine est son seul moyen de survie.



Nouveau-né porteur d'une trachéotomie.

Le diagnostic met souvent du temps à être posé, et pourtant la prise en charge doit être rapide : la trachéotomie d’impose pour permettre une ventilation artificielle prolongée (c’est-à-dire que le respirateur artificiel n’est pas connecté aux poumons par la bouche –intubation- mais est directement introduit dans la trachée, par une incision à la base du cou). Cette méthode, impressionnante mais nécessaire 24h/24 chez les nourrissons, deviendra progressivement uniquement nocturne et pourra se faire au moyen d’un masque à partir de 7-8 ans.



Il y a encore 30 ans, l’espérance de vie de beaucoup de ces patients n’excédaient pas quelques mois ou quelques années. Aujourd’hui, grâce à un diagnostic plus rapide et une prise en charge plus efficace, la majorité de ces bébés deviennent des adultes.
Le fait d’avoir un des membres de sa famille victime de ce syndrome augmentant fortement le risque d’en être aussi atteint (dans la pratique, d’avoir un futur enfant atteint), son origine génétique a longtemps été suspectée. Mais il aura fallu attendre 2003 et les travaux de 2 équipes françaises (avec une espagnole) pour identifier le gène responsable, PHOX-2B.
PHOX-2B est un gène capital dans la mise en place du système nerveux autonome (SNA) au cours de la vie fœtale. Le SNA correspond à une subdivision de notre système nerveux. Il a une fonction essentielle, vitale même, car c’est lui qui régule et surveille le bon fonctionnement de notre corps. C’est lui qui fait battre notre cœur plus ou moins vite, qui nous fait digérer, faire l’amour… et respirer. En bref, c’est lui qui gère la machinerie de notre organisme de manière autonome.


Le système nerveux autonome est chargé de réguler le fonctionnement du corps humain. Il peut se diviser en 2 grands systèmes : d'une part le système nerveux parasympathique, qui régule le fonctionnement du corps, et d'autre part, le système nerveux sympathique, qui globalement correspond à la réaction de fuite devant un danger. C'est lui qui vous fait transpirer quand vous êtes stressé, qui dilate vos pupilles devant le danger et qui vous fait saliver pendant un effort sportif (ce pourquoi les sportifs ont tendance à cracher plus que la moyenne !).

Le muscle le plus important pour notre respiration est le diaphragme, une espèce de grande coupole entre le thorax de l’abdomen sur laquelle repose les poumons. C’est lui qui, par sa contraction, nous fait inspirer. Il est connecté au système nerveux au moyen du nerf phrénique, qui naît des centres nerveux respiratoires du tronc cérébral (entre le cerveau et la moelle épinière) et traverse tout le thorax pour innerver le diaphragme.


Le diaphragme est une coupole musculaire interposée entre le thorax (en haut) et l'abdomen (en bas). C'est le muscle principal de la respiration, grâce auquel on peut inspirer -lorsqu'il se contracte. Il est innervé par les 2 nerfs phréniques (droit et gauche) qui proviennent de la moelle épinière cervicale.

C’est l’irritation du nerf phrénique qui entraîne un phénomène connu de tous : le hoquet !
Les centres respiratoires sont reliés à des capteurs capables de mesurer la concentration en oxygène et en CO² du sang. Si cette concentration est trop basse, le système se met en alerte et ordonne au diaphragme de pomper plus d’air dans les poumons. Cette réaction n’est pas sous le contrôle de la volonté : c’est pour cela que l’on ne peut pas bloquer indéfiniment sa respiration sous l’eau et qu’au bout d’un moment, il est impossible de ne pas inhaler de l’eau… et fatalement se noyer.
Les patients porteurs d’un gène PHOX-2B muté perdent cette faculté de régulation automatique, tant est si bien qu'ils doivent constamment faire l'effort de respirer consciemment. Ainsi, lorsqu’ils s’endorment et que leur respiration ne peut plus être contrôlée par la volonté, le patient s'asphyxie. Leur respiration n'est pas gérée par les réseaux réflexes du tronc cérébral, mais de manière consciente par le cortex cérébral.

Un petit peu comme si vous deviez constamment vous rappeler et vous concentrer pour respirer -ce qui est bien évidemment impossible lorsque vous dormez !
Des études ont montré que lorsque l’on induit artificiellement la mutation du gène PHOX-2B chez des souris, celles-ci développent de graves apnées durant leur sommeil et présentent de grosses anomalies de contrôle respiratoire. Nous retrouvons les symptômes du syndrome d’Ondine !
La mutation du gène PHOX-2B entraîne une malformation de l’ensemble du SNA et l’atteinte respiratoire n’est donc pas isolée. En particulier, on peut retrouver chez les patients « Ondine » de graves atteintes digestives comme le reflux gastro-œsophagien (les remontées acides) et encore plus la maladie de Hirschsprung : l’innervation du SNA est insuffisante au niveau de l’œsophage et du colon et les aliments ne sont donc pas poussés « dans la bonne direction » -vers l’anus.


La maladie de Hirschprung se caractérise par une inflammation chronique du colon (ou gros intestin) entraînant sa destruction.

La prise en charge de ces patients ne se limite donc pas aux seuls problèmes respiratoires. Il est parfois nécessaire de les opérer pour leurs problèmes intestinaux.
De plus, cette prise en charge n’est pas dénuée de risque : la ventilation mécanique augmente fortement le risque d’infection pulmonaire, alors que dans le même temps la maladie en masque les symptômes, aboutissant à un dangereux retard dans la prise en charge de ces infections qui peuvent être graves.

Tous les jours, écartant les roseaux et les branches,
Près du fleuve où j'habite un pêcheur vient s'asseoir
Car sous l'onde il a vu glisser des formes blanches
Et reste là, rêveur, du matin jusqu'au soir.

L'air frémit, l'eau soupire et semble avoir une âme,
Un œil bleu s'ouvre et brille au cœur des nénufars,
Un poisson se transforme et prend un corps de femme,
Et des bras amoureux, et de charmants regards.

« Pêcheur, suis-moi ; je t'aime.
Tu seras roi des eaux,
Avec un diadème
D'iris et de roseaux !

« Perçant, sous l'eau dormante,
Des joncs la verte mante,
Auprès de ton amante
Plonge sans t'effrayer :

« À l'autel de rocailles,
Prêt pour nos fiançailles,
Un prêtre à mains d'écailles
Viendra nous marier.

« Pêcheur, suis-moi ; je t'aime.
Tu seras roi des eaux,
Avec un diadème
D'iris et de roseaux ! »

Et déjà le pêcheur a mis le pied dans l'onde
Pour suivre le fantôme au regard fascinant :
L'eau murmure, bouillonne et devient plus profonde,
Et sur lui se ferme en tournant...

« De ma bouche bleuâtre,
Viens, je veux t'embrasser,
Et de mes bras d'albâtre
T'enlacer,
Te bercer,
Te presser !

« Sous les eaux, de sa flamme
L'amour sait m'embraser.
Je veux, buvant ton âme,
D'un baiser
M'apaiser,
T'épuiser !... »
Théophile Gauthier



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Bonne rentrée ! :)
SOURCES :
-  http://www.alalettre.com/giraudoux-oeuvres-ondine.php
-  http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1988_num_18_62_5550
-  https://fr.wikipedia.org/wiki/Ondine
-  http://www.sciencesetavenir.fr/sante/20030318.OBS8282/decouverte-de-l-origine-genetique-du-syndrome-d-ondine.html
-  http://www.poesie-francaise.fr/theophile-gautier/poeme-londine-et-le-pecheur.php
-  Trang, Le syndrome d’Ondine. La revue du praticien, 2006
-  Amiel, J., Laudier, B., Attié-Bitach, T., Trang, H., de Pontual, L., Gener, B., ... & Vekemans, M. (2003). Polyalanine expansion and frameshift mutations of the paired-like homeobox gene PHOX2B in congenital central hypoventilation syndrome. Nature genetics, 33(4), 459-461.
http://lavventura.blog.lemonde.fr/2015/01/14/quand-le-cerveau-oublie-de-respirer/comment-page-1/
- http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0107850