SOIGNER L'ETAT DE STRESS POST-TRAUMATIQUE AVEC DES BÊTA-BLOQUANTS ?


 
Lorsque le gouvernement américain déclencha en 2003 la seconde guerre du Golfe, il ne s’attendait pas à des conséquences aussi dramatiques.
 
Au niveau géopolitique, elle participa à une instabilité durable du Proche-Orient, toujours d’actualité aujourd’hui et pour quelques temps encore. Mais au niveau humain surtout, elle engendra des pertes terrifiantes au sein de tous les protagonistes. Près de 200 000 morts étaient recensés en 2013 depuis le début du conflit, dont la majorité de civils irakiens. Côté américain, ce sont près de 4500 soldats qui y perdirent la vie.
 
Mais le plus sidérant est sans doute que sur la seule année 2005, 120 soldats américains mourraient toutes les semaines… par suicide. Plus de 6000 vétérans US se suicidèrent cette seule année, soit un coût humain plus élevé que 10 ans de combats en Irak.
 
La violence extrême des zones de combats affecte profondément la santé mentale des soldats, pour la plupart très jeunes. Le simple fait d’être un soldat américain de moins de 24 ans augmente le risque de suicide d’un facteur 4.
 
Les préoccupations des autorités pour de la santé mentale des vétérans date de la première guerre mondiale, pendant laquelle l’horreur des tranchées avait non seulement décimé toute une génération de jeunes hommes, mais aussi détruit, psychologiquement et physiquement, bon nombre de survivants.
 
Le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) fut théorisé au cours de la guerre du Vietnam, à partir de l’étude des terribles séquelles psychologiques des soldats revenant du front. Il se caractérise par des symptômes chroniques, qui peuvent persister des mois voire des années. Il se déclenche dans les semaines qui suivent un évènement traumatique, caractérisé par le fait qu’il met en jeu la vie ou l’intégrité physique de la victime : on pense bien sûr aux soldats ou aux victimes d’attentats, mais cela englobe aussi d’autres situations comme les agressions et jusqu’aux crises cardiaques.
 
Cependant, tout évènement traumatique ne déclenche pas un SSPT : la fourchette serait de 4 à 40% de SSPT après un évènement traumatique –il s’agit là des estimations concernant l’attentat du RER Port-Royal à Paris, en 1995.
 
Parmi les symptômes les plus caractéristiques, on retrouve les phénomènes de reviviscence : le souvenir de l’évènement traumatique s’impose sans prévenir à la conscience du patient. Plus qu’un souvenir, il s’agit d’un véritable flash-back : le sujet se retrouve, à son insu, plongé dans ce souvenir traumatisant. Le soldat se retrouve au cœur du combat alors qu’il est dans son canapé, la victime se retrouve face à son agresseur alors qu’elle marche dans un magasin…
 
Cette situation est bien entendu pourvoyeur d’un stress énorme, qui va pousser l’individu à éviter le plus possible tous les indices qui sont susceptibles de provoquer une reviviscence. Il peut s’agir d’un lieu (la rue, un bar, en fonction du lieu de l’agression), d’une odeur, de sons…
 
Cela entraînera progressivement un repliement sur soi-même et par la suite de graves problèmes relationnels. On observera aussi un état d’hypervigilance dans l’attente du danger ou du flash-back, qui entrainera de graves problèmes de concentration par exemple.
 
La santé mentale du patient sera alors très détériorée et il sera urgent de le prendre en charge. Les risques du SSPT sont en effet majeurs, de la dépression au suicide en passant par la dépendance -principalement alcoolique.
 
Le malade doit le plus souvent être suivi par un psychiatre dans le cadre d’une thérapie. Différentes techniques, dont certaines ne font pas l’unanimité, sont utilisées au cours de celles-ci. On peut notamment évoquer l’hypnose, la méditation ou la ludothérapie (thérapie par le jeu). Il existe de plus tout un arsenal pharmacologique à la disposition du psychiatre, tel que les antidépresseurs ou les anxiolytiques.
 
Avec la recrudescence des attentats un petit peu partout dans le monde, le risque de développer un SSPT d’étend à une population beaucoup vaste. De plus, tout l’intérêt de la prise en charge est qu’elle doit être la plus précoce possible : plus elle sera précoce, plus elle aura de chance d’être efficace.
 
C’est pour cela qu’a été développé en France, après la vague d’attentats de 1995, une cellule de soutien psychologique dont le rôle est de prendre en charge dès les premiers instants les victimes (on parle de déchoquage psychologique) et en particulier débuter un suivi psychologique précoce.
 
On cherche à instaurer lors de ces moments cruciaux le meilleur traitement médicamenteux. Parmi ces traitements, l’administration de β-bloquants est l’une des grandes pistes étudiées.
 
Lors d’un évènement particulièrement choquant, les individus subissent une véritable montée d’adrénaline –au sens propre comme au figuré. Les taux sanguins d’adrénaline mesurés chez ces personnes sont bien plus élevés que la normale. Mais il a de plus été montré que ce taux d’adrénaline était plus important dans le liquide céphalorachidien (LCR), dans lequel baigne le cerveau.
 
Cette réaction de l’organisme, adaptée lors de l’évènement traumatisant, à tendance à se prolonger anormalement chez les personnes souffrant de SSPT.
 
L’action de l’adrénaline (ou de son pendant, la noradrénaline) sur le cortex préfrontal entraîne une augmentation de l’attention et participerait à mimer les symptômes du SSPT : l’injection d’un médicament stimulant la sécrétion de noradrénaline entraîne des attaques de panique et des reviviscences chez ces patients.
L'adrénaline sécrétée agit sur le cortex préfrontal (en orange) et sur les circuits de la mémoire (bleu ciel).
Elle pourrait être impliquée dans les mécanismes pathologiques induisant le stress post-traumatique.
 
Mais l’adrénaline aurait aussi un rôle sur la mémoire. Il a été montré qu’un taux sanguin supérieur à la moyenne entrainait une consolidation plus forte des souvenirs, d’autant plus si la charge émotionnelle qui leur est affectée est importante. Cela pourrait expliquer les reviviscences des patients, dues à une perturbation des capacités mnésiques, et en particulier d’une consolidation « trop forte » du souvenir pathologique.
 
Il existe donc tout un cadre théorique et expérimental qui attribue à l’adrénaline et la noradrénaline une place prépondérante dans la mise en place et la physiopathologie du SSPT.
 
D’où l’idée de bloquer ce système dit « adrénergique » (c’est-à-dire qui sécrète l’adrénaline) grâce à des agents pharmacologiques, et en particulier les β-bloquants.


 
Les médecins-chercheurs ont donc essayé de prescrire ce médicament le plus tôt possible chez leurs patients victimes d’évènements traumatiques, à risque de développer un SSPT.
 
En 2003, une étude de ce type fut publiée dans une revue scientifique. Les chercheurs à l’origine avaient constitué 2 groupes de personnes venant de subir un évènement traumatisant (en l’occurrence une agression ou un accident de voiture), l’un traité par β-bloquants et l’autre sans traitement.
 
En réalité, le groupe non-traité était constitué de patients ayant refusé le traitement.
 
L’étude mis en évidence une diminution significative du risque de développer un SSPT chez les personnes sous β-bloquants.
 
Ainsi donc, ce traitement permettait de prévenir l’apparition d’un SSPT !
 
Cependant, une donnée me semble particulièrement gênante dans cette étude : le groupe dit contrôle, sans traitement, n’est pas issu du hasard. Dans la plupart des travaux étudiant l’effet d’un médicament, les 2 groupes (traités versus placebo) sont tirés au sort. Le fait de ne pas effectuer cette randomisation peut être la source de biais énormes dans les résultats !
 
Par exemple ici, on peut imaginer que les personnes qui refusent le traitement le fond parce qu’elles sont méfiantes, donc de tempérament plus anxieux. Qui nous dit alors que la diminution du risque ne proviendrait pas de cette hypothétique différence de tempérament plutôt que du traitement β-bloquants ?
 
De plus, un autre argument vient contrarier la théorie du traitement par β-bloquants des victimes d’évènement traumatisants.
 
Comme nous l’avons vu plus haut, parmi ces évènements sont inclus les problèmes de santé graves comme les infarctus du myocarde. Or, dans ce cas précis, les recommandations de traitement indiquent qu’un patient ayant fait un infarctus doit être traité par β-bloquants au long court par la suite. Comment dès lors expliquer que la proportion de SSPT chez les personnes ayant été victimes d’un infarctus du myocarde soit en moyenne de 17% ?
 
En 2015, une équipe de chercheurs brésiliens lancèrent une méta-analyse sur le sujet. Le but d’une méta-analyse est simple : analyser les données de plusieurs études portant sur un même sujet pour augmenter la puissance statistique des tests. En effet, une limitation majeure des différentes études est le nombre trop petit d’individus y participant, qui peut entraîner des biais dans les résultats : la méta-analyse permet de contrer cet effet.
 
La méta-analyse regroupa 5 études sur les effets des β-bloquants dans la prévention du SSPT, dont l’étude dont nous parlions avant –il s’agit donc d’une petite méta-analyse, le prix à payer pour des critères d’inclusion rigoureux. Ils collectèrent les données de ces 5 études pour les analyser ensemble. En tout, plus de 200 individus furent ainsi inclus.
 
Il ressorti de cette nouvelle étude qu’aucun effet protecteur du β-bloquant sur la survenue de SSPT ne pouvait être mis en évidence.
 
Que penser de tout ça ?
Tout d’abord, cela nous montre bien qu’une seule étude, prise isolément, n’est pas détentrice de la vérité en science. Les résultats d’une étude doivent être nécessairement répliqués à travers le monde pour qu’on puisse y attribuer un petit peu de crédit. Il ne faut jamais rien prendre pour certain en science, et en particulier lorsque l’on n’a qu’une seule étude pour se faire son opinion !
 
Les méta-analyses sont les travaux dont les conclusions sont considérées comme les plus fiables, du fait du grand nombre d’études qu’elles incluent et du très grand nombre d’individus qu’elles étudient. Cependant, attention à l’effet tiroir !
 
Concernant l’effet des β-bloquants sur la survenue de SSPT, il est difficile de conclure aujourd’hui quoi que ce soit : les études sur le sujet sont trop contradictoires (je ne vous en ai par parlé, mais il y a quelques travaux qui ne trouvent de leur côté aucune différence entre les individus traités et non-traités), et la méta-analyse trop modeste pour en tirer des certitudes.
 
Alors quoi faire ? Continuer à chercher pardi ! Il faut de nouvelles études sur le sujet, aux protocoles soignés et si possible avec le maximum d’individus inclus pour apporter de nouvelles précisions et pouvoir se faire un avis en connaissance de cause. Des études comme celle dont parlait TF1 dans son 20h du 12 novembre, qui mettront peut être en évidence un effet qui n’avait pour le moment pas été démontré… ou peut être pas –d’où l’intérêt de ne pas porter de conclusions hâtives… !
 
Chercher, encore et toujours !


    


 

SOURCES :
- Argolo, F. C., Cavalcanti-Ribeiro, P., Netto, L. R., & Quarantini, L. C. (2015). Prevention of posttraumatic stress disorder with propranolol: A meta-analytic review. Journal of psychosomatic research, 79(2), 89-93.
- Vaiva, G., Ducrocq, F., Jezequel, K., Averland, B., Lestavel, P., Brunet, A., & Marmar, C. R. (2003). Immediate treatment with propranolol decreases posttraumatic stress disorder two months after trauma. Biological psychiatry, 54(9), 947-949.
- O’donnell, T., Hegadoren, K. M., & Coupland, N. C. (2004). Noradrenergic mechanisms in the pathophysiology of post-traumatic stress disorder. Neuropsychobiology, 50(4), 273-283.
- Syndromes coronariens aigus ST+, cours de J. Nadal et D. Vignon, CHPG Monaco